Robert Coutelas
Mes Nuits


Né en 1930, Robert Coutelas s’est éteint en juin 1985 à Paris, 226 rue de Vaugirard dans le quinzième arrondissement, dans la pièce au confort plus que rudimentaire, partagée avec des rats et des pigeons, où il s’était installé en 1967, année même où il débuta la série de cartes qui devait le rendre célèbre, mais bien après sa mort. Quasi autodidacte, Coutelas a combattu toute sa vie pour devenir et demeurer artiste, malgré
l’opposition totale de ses parents – qui le conduisit par deux fois, adolescent, à attenter à ses jours –, malgré son incapacité à marchander son art – qui le poussa à rompre ses contrats avec des galeries commerciales qui entendaient le promouvoir comme le nouvel Utrillo –, malgré la misère absolue dans laquelle il a constamment vécu.


L’œuvre de Robert Coutelas est riche de plusieurs milliers de peintures sur carton de récupération, miniatures au format de cartes de tarot (dont certaines agencées en des compositions de 3, 5, 6, 8, 9, 12, 15, 16, 18, 20, 24 ou 28, sans raison ou intention décelable, et 469 inséparables réunies dans La Réserve du patron): Mes Nuits, de quelques centaines de gouaches sur envers d’affiches inutilisées: Mes ancêtres, et de quelques dizaines de sculptures, en pierre ou en terre cuite, pour la plupart minuscules.

Grâce à la détermination de son ayant-droit Mariko Molia (auteure
d’un livre de souvenirs sur l’artiste, plusieurs fois réimprimé), les œuvres
de Coutelas ont été montrées dès 1982 au Japon, où il a progressivement acquis un statut d’artiste culte, exposé dans des musées (Shoto Museum of Art,
Tokyo, 2015, Musée Bernard Buff et, Shizuoka et Asahi Beer Oyamazaki Villa Museum of Art, 2016, Mori Museum of Art, Tokyo, 2022…)
Célébré par des artistes et écrivains (Nobuo Hashiba, Toshiyuki Horie, Akira Minagawa,
Hiroshi Sugito…), et sujet de livres à succès; ses dessins y décorent des bols en céramique, des magnets ou des pâtisseries, certains s’en ornent même les ongles, ou tatouent ses motifs sur leur peau.



Obsessionnelle sans jamais être répétitive, l’œuvre de Coutelas se place dans la lumière de l’art brut et de l’art populaire, mais dessine son territoire singulier, poétique et universel, hors du temps et de toutes tendances. Tel un compagnon du Moyen-Âge, il ne signe généralement pas ses œuvres; s’il inscrit parfois son nom au centre d’une carte, c’est à la manière d’un blason, quand la composition l’exige, mais bien plus souvent il privilégie VAUGIRARD voire VAUGI, ou ses initiales C.R., parfois accompagnées de H.A. pour ses autres prénoms, Henri et André – mais aussi comme un éclat de rire; de temps à autre il date ses œuvres, de l’année, parfois aussi du mois, et exceptionnellement du jour. Seules une poignée portent un slogan, toujours le même, existentiel et révolutionnaire, absolument coutelassien:
La Liberté ou la mort.
D’une remarquable diversité de motifs, les cartes qui composent Mes Nuits sont pour certaines abstraites, rythmées d’alignements itératifs de points ou de lignes, mais la majorité figurent des personnages, voire des saynètes parfois énigmatiques, ou des écritures illisibles. Si certains de leurs thèmes peuvent référer à l’histoire, aux jeux, au théâtre, aux mythes ou à l’histoire de l’art, comme la Fanny, les maternités, Guignol, Adam et Ève, le Pendu… la plupart témoignent d’obsessions très personnelles – les longues chevelures ondulantes qui enserrent les visages, les têtes au centre d’un tourbillon en spirale, les créatures mi-humaines mi-papillons ou mi-lapins, les vignerons, les alignements d’ossements, les tours en flammes… que l’artiste combine et reconfigure inlassablement. La mort y rôde, mais la vie la submerge, par assauts de tendresse et de cocasserie. On dit que mes cartes sont des symboles, objectait Coutelas, mais qu’est-ce qu’un symbole? Elles sont des êtres vivants qui font la fête dès que je m’absente de chez moi.

Robert Coutelas, Mes Nuits, est disponible à la librairie de la Halle Saint Pierre.