Editions Maurice Nadeau

A l’occasion de nouvelles parutions

Hommage à Christian DUFOURQUET
Flamboyants au crépuscule  (mai 2023) 
&
Rencontre avec ERVÉ, écrivain en marge pour
Morsures de nuit (septembre 2023)
Prix spécial du jury du Prix du Roman de la Nuit 2024

Organisés par les éditions Maurice NADEAU

Samedi 2 mars 2024 à 15 heures – entrée libre

Halle Saint Pierre – à l’auditorium
Réservation recommandée : 01 42 58 72 89

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Christian DUFOURQUET
(1947 – 2023)

Christian Dufourquet né en 1947, ingénieur de formation, poète et écrivain, a passé 25 ans de sa vie en Afrique. Il a publié chez Maurice Nadeau quatre ouvrages : Nous ne cessons de dire adieu (2000) ; Mourir dormir tuer peut-être – (2003) ; Franz et Mania (2005) ; Un chapeau dans la neige (2011) et aux éditions Soupirail, À la cave comme au ciel (2015). Il vient de disparaître le 15 juillet 2023.

Flamboyants au crépuscule  (mai 2023)
Le narrateur, au crépuscule de son existence, se souvient des moments de fulgurance de son passé amoureux, de ses voyages lointains en terre d’Afrique, de ses rencontres avec la littérature qui ont pour noms, Artaud, Rilke, Lautréamont, Kafka ou Proust. Il fait le compte et le décompte des grands moments vécus, hantés de visions bouleversantes ou acides. Une langue poétique, remarquable, passionnée et visionnaire, évoque des visages, des bribes de souvenirs et de paysages, esquisse le contour d’un monde qui s’écroule, dedans, dehors. 

Extrait : 
« Tant d’années ont passé et la nuit africaine continue de le hanter, avec ses rares loupiotes éparses, qui, contrairement à celles qui délimitent une piste d’atterrissage, n’éclairent rien au dehors et vacillent en dedans quand la musique et les corps et pourquoi pas les tueries et les meurtres parfois entrent en résonance. C’est comme une voix de poussière qui s’élève sur un arc musical, le tam tam bat un rythme qui rassemble les vivants peu nombreux et les morts innombrables, les corps s’enlacent s’évitent se heurtent, la piste est une aire de terre battue où les hommes les femmes et les enfants secoués dans leur dos dansent la vie les ancêtres la misère constante et la mort, et aussi la douceur de respirer un temps ensemble, même si tout ça ne dure pas. Un jour, rien ne restera, pas même les cases sur les murs desquelles des mains anonymes auront laissé leurs empreintes de kaolin pour dire leur passage en ces villages où les anciens règnent de moins en moins, car les jeunes vont vers les villes, se foutent des vieux des cases et des fétiches. Les villes grossissent en ce continent qui bientôt débordera sur le nôtre, et où sa jeunesse retrouvera dans les zoos d’Europe les animaux que leurs pères auront vu disparaître de leur vivant… »

Un film, Un pas, un mot
Ed. Le Soupirail, 2016
Portrait réalisé par Vanya Chokrollahi – coll. L’Aube des mots dirigée par Mahmoud Chokrollahi.


E R V É

 Ervé a vécu jusqu’à cinquante ans dans la rue. Il a trouvé un toit pour s’abriter et une « maison » pour être édité. Il continue ce qu’il a toujours su faire, écrire. Morsures de nuit est sa deuxième publication. 

Morsures de nuit
Prix spécial du jury du Prix du Roman de la Nuit 2024.

« L’infini des nuits se compte en continents qu’on arpente en songe quand on sommeille à peine ».

Après les « Écritures carnassières » qui narraient par bribes des moments de sa vie, Ervé explore ses errances nocturnes, les nuits kaléidoscopiques qui auraient pu l’emporter ou celles qui l’ont sauvée, cet espace autre où la solitude se fait ouatée, où il peut se cacher et dessiner un destin secret. Ces nuits sont peuplées de leur cortège d’âmes brisées, des femmes fugaces et disparues qui reviennent le hanter, tout comme des silhouettes fantomatiques de toutes sortes qui glissent à ses côtés. Dans ces Morsures de nuit, le regard d’Ervé « toujours un peu au bord du monde », pose un regard singulier à la fois bienveillant et extraordinairement acéré sur notre réalité.

EXTRAIT

« Comme à l’accoutumée, j’ai droit aux questions à la con. Qui je suis. D’où je viens. Pourquoi je suis là. Réponse à la con à questions tout autant : Je suis, je viens de loin, je vis là. Sa moue perplexe me fait sourire. Je la trouve belle cette moue. Je lui explique que je suis SDF, qu’ici c’est mon bout de trottoir et que je n’ai pour horizon que ce qui ne m’empêche à rien. Tout en riant, elle m’avoue qu’elle n’a rien compris à la fin en me proposant le joint. La rue est vide, même les terrasses. Tout autour, les rideaux baissent. Enfin. Quelques murmures des appartements tout au plus viennent à mes oreilles. Elle me tend un gobelet et y sert une très large vodka. Elle tremble un peu. Ses mains tremblent un peu. Et ce n’est pas de froid puisque la nuit est douce. (…) Elle habite non loin et m’y invite. Je refuse. Trop jolie et bien trop éméchée. Je lui explique mon refus par le «?demain, tu regretteras.?» Elle boude. Je la trouve encore plus attirante et tire sur le joint.

Elle veut visiter la cave. Je lui réponds souris et rats. Elle veut comprendre ma détresse, je lui réponds «?morsures?» et «?flottements?». Ses yeux du noir des filles du Maghreb m’envoûtent, aidés par les lueurs sourdes du lampadaire au loin. Dieu que cette femme est divine. Et morsure.

Elle insiste pour que l’on aille au bord du canal «?se finir?». Je flotte.

Elle finit par vomir sa mauvaise boisson et je la raccompagne jusqu’au pas de chez elle. Tu es gentil vampire. Entre. »

 

« Absurde immobilité dans la nuit. Carcasse de pluie. Ses pieds tremblent juste un peu. Son cerveau résonne encore mais ne peut pousser cri. À peine du sanglot. Son cœur cesse. Il sourit. Il veut bien partir enfin. Plus de lourd à porter se dit-il. Ses larmes se mélangent au jaune-gris des réverbérations dans les flaques. Il part de chez nulle-part. Mais…

Une gamine espagnole a posé sa bouche sur la mienne et ses mains sur ma poitrine. Elle m’a réveillé. Quand les pompiers sont arrivés, je ne cherchais qu’elle. Elle était nulle-part. On me croyait fou. J’ai refusé l’hôpital. Je voulais rester là. Pour la recroiser. Palpite en moi, souvent, le souffle d’une autre personne qui me parle…

J’ai fait une troisième alerte cardiaque à ce moment-là. J’étais en état de mort quand une jeune femme a pratiqué les soins en attendant les gyrophares. Je ne sais ni son prénom ni son âge. Elle m’a réinsufflé. Elle était touriste espagnole. »

EN SAVOIR PLUS …

Voici une très belle émission sur « Morsures de nuit » diffusée sur France Bleu RCFM
 « Des livres et délire » : https://www.francebleu.fr/emissions/des-livres-et-delires/rcfm

« Morsures de Nuit » : la littérature sans toit ni loi selon Ervé par Jérôme Garcin dans L’Obs du 12 décembre 2023

A 50 ans et des poussières, Ervé publie la suite d’« Ecritures carnassières » et continue, incisif et tranchant, le récit de sa vie de SDF. Un livre d’une poésie folle, écrit au ras du sol et à ciel ouvert.

Noël approche et, pour Ervé, ça reste une « merde de joyeux Noël » . Car, durant plus de vingt ans, il a passé le glacial 24 décembre dans la rue. « Mes pas sur vos chaussées humides me renvoient les lumières de vos néons de Noël décoratifs et futiles tandis que vous dormez. Le sommeil ne veut pas de moi, alors il faut que je me fatigue » Combien de fois, cette nuit-là, n’a-t-il pas pensé à se « foutre en l’air » ?

La probabilité d’apercevoir au pied du sapin ses deux petites filles, ses deux « poumons » , comme il les appelle, l’en a toujours dissuadé. Et puis écrire l’aide à ne pas abdiquer. Pour chasser ses idées noires, il noircit des pages sous les réverbères. Il les a rassemblées l’an passé dans un premier livre, « Ecritures carnassières ». Avec « Morsures de nuit », voici, incisive et tranchante, la suite. Et la preuve qu’Ervé a désormais un domicile

Juliette Einhorn consacre sa chronique du Monde des livres du 17 novembre 2023 à Morsures de nuit sous le titre Ervé ou la poésie du tombeau des nuits. L’écrivain et SDF ajoute un tome vibrant à son journal de rue.

« Malgré la tristesse et la colère, l’âpreté sans nom de cette existence à ciel ouvert, la poésie fait valoir son urgence. Pour relire Rimbaud, nul besoin pour Ervé d’ouvrir ses livres :il se récite ses poèmes de mémoire. Avec ses propres mots hantés, qu’il dédicace à ses deux filles (ses «deux poumons»), il transforme ce qu’on pensait être un mausolée en un recueil vibrant, où la morsure devient baiser… »

 Filmé par Delphine Chaume, son éditrice, il s’exprime aussi sur notre chaîne Youtube