Gravures
(eau-forte et pointe sèche)
Exposition du 1er au 31 mars 2023
Halle Saint Pierre – à la librairie
Livre disponible à la librairie de la Halle Saint Pierre
PHOTOS STEPHANE BRIOLANT
Sylvie Selig
Depuis les années 1980, après un détour par l’illustration, Sylvie Selig crée une œuvre envoûtante et troublante, comme autant de contes cruels inventés par une petite fille qui a aujourd’hui dépassé les quatre-vingts ans. Grande révélation de la dernière Biennale d’art contemporain de Lyon, ses œuvres ont été mises à l’honneur dans une grande salle des usines Fagor et ailleurs dans la ville : Stateless, longue huile sur toile de 50 mètres, une quinzaine de broderies et la Weird Family — personnages fabriqués à l’aide de mannequins, de papier mâché et de matériaux divers.
Les gravures exposées à la Halle St-Pierre ont été spécialement réalisées pour cette 16e Biennale.
D’où viennent ces jeunes filles poursuivies, malmenées ou pendues la tête en bas (à des branches ou à une corde à linge) par des hommes-lièvres dévêtus ? Qui sont ces virils Bad Boys dotés de masques de « docteurs de la peste », mais qui affichent parfois des atours et postures féminins (évoquant ainsi un « trouble dans le genre ») ? Quelle passion embrasa cette femme alanguie et ce Wotan à l’œil bandé et aux oreilles de lièvre, tendrement enlacés ? Pourquoi ces cœurs arrachés et saignants offerts par des amantes à leurs hybrides soupirants ? Vers quel temple ou tombeau cette jeune prêtresse d’Éros conduit-elle son amant-Œdipe aveuglé ? Quelle faute a pu commettre l’homunculus-lapin vociférant dans ce bocal posé sur les genoux d’une femme nue ? Et dans quels redoutables abîmes cette macabre sirène-squelette cherche à attirer son scaphandrier enamouré ?
Le regard s’attarde sur d’étonnantes cérémonies érotiques – figées, ordonnées, précises et mystérieuses comme des allégories – dans lesquelles interviennent plusieurs personnages et toutes sortes d’animaux, terrestres ou ailés : un bestiaire évoquant ce « devenir animal » lié au désir que Deleuze, en partant de Kafka et Melville, a défini comme une forme de fuite et de libération.
Artiste singulière, Sylvie Selig est capable d’aborder d’une façon aussi légère que poignante des expériences physiques ou psychiques traumatisantes, sublimant l’horreur d’un avortement, d’un accident, d’un deuil ou d’un viol (qu’ils soient réels ou fantasmés) par les vertus d’un trait aérien et d’une imagerie quasi féerique, dépourvue de toute complaisance expressionniste.
Ne comptez pas sur l’artiste pour décrypter les figures troublantes de son imaginaire hanté. C’est au spectateur fasciné qu’il appartient d’actionner la machine à dérouler les fantasmes en s’appropriant les « variations sur thème » qui se déploient – répétées, obsédantes, insensées – sur les toiles et les tissus, ces derniers présentant parfois d’étourdissantes broderies.
Michel Scognamillo, Inside Out Fairy Tales, Les fables cruelles de Sylvie Selig (Librairie Métamorphoses, 2021).
Des œuvres de Sylvie Selig sont également exposées à la Librairie Métamorphoses.
Biographie
Sylvie Selig est née à Nice en 1941.
En 1953, elle émigre avec sa mère en Australie, à Melbourne. À l’âge de 15 ans, elle gagne le prestigieux prix de la Victorian Art Society et le premier prix du Sun Youth Art Show, où concourent les enfants de toutes les écoles de Victoria. L’année 1958 voit son envol : elle réalise des décors de théâtre pour une pièce de Barry Humphries, travaille comme assistante du photographe Helmut Newton et participe à diverses expositions collectives, dont celle de l’ouverture du Melbourne Museum of Modern Art. Première exposition personnelle organisée par les Australian Galleries (Melbourne).
Retour en Europe en 1959 : d’abord à Londres (une année de peinture) puis, entre 1960 et 1966, à Paris, où elle travaille comme illustratrice pour le magazine Elle. En 1966, elle réalise les illustrations pour un premier livre d’enfants, Le Petit arbre – texte de Thelma Volckman Delabesse, éd. Tisné, 1967 –, qui obtient le prix du meilleur livre à la Foire du livre d’enfants de Bologne. (Une adaptation en vidéo du Petit Arbre sera réalisée par le Centre Georges-Pompidou à la fin des années 1970.)
Installée à New York à partir de 1966, elle travaille comme illustratrice pour les magazines et les grands éditeurs (Esquire, New York Magazine, Condé Nast, Grove Press, Doubleday, etc.).
Retour à Paris en 1970 : toute la décennie est consacrée à l’illustration.
En 1980, elle abandonne l’illustration et revient à la peinture. Travaille intensément au cours des deux décennies suivantes ; quelques expositions personnelles (Galerie Cupillard à Grenoble, Saint-Tropez, Toulouse, Menton et Nice) ; ventes de grands formats à des collectionneurs américains.
Première exposition parisienne, thématique, à l’Espace Commines en 2009 : Screen of my dreams, série de quinze grandes peintures à l’huile (portraits de réalisateurs de cinéma). La même année, elle commence Route 66 : une toile peinte à l’huile de 30m de long (hauteur 1m70), œuvre achevée en 2013 dont le déroulement s’effectuera grâce à une machine de son invention.
L’année 2012 marque le début la période des très grands formats, sur toile ou tissu. En 2013 : création de cinq petites machines permettant de faire défiler, sur 10 mètres, des peintures ou dessins d’une hauteur de 30cm ; Alice, série de trois lés de lin dessinés au feutre (hauteur 5m, largeur 1m50). En 2014, début de River of no return (140m de long sur 2m20 de haut), gigantesque peinture à l’huile sur toile évoquant l’odyssée de trois personnages sur une rivière et leurs rencontres avec l’art contemporain (achevée en 2017). Stateless – peinture à l’huile sur toile de 50m de long sur 2m20 de haut, commencée en 2015 et achevée en 2018, ainsi qu’un grand nombre de dessins sur lin (au feutre fin ou à l’encre), parmi lesquels The Diver and the Mermaid (onze lés de lin de 1m70 de haut sur 75 cm de large chacun), trente dessins d’arbres formant une forêt et une série de grands dessins surfilés.
En 2016, elle crée le premier des « monstres » qui constitueront sa Weird Family, toujours en expansion : des personnages féériques de différentes tailles réalisés en technique mixte – à l’aide de mannequins, de papier mâché et d’objets ou matériaux hétéroclites –, improbables compagnons qu’elle affuble de prénoms poétiques.
Année 2019 : expose avec la galerie Rizomiarte à la Bologna Art Fair (février), et en solo show au Salon DDessin, Atelier Richelieu (mars). Début d’une autre grande œuvre : Loneliness peinture à l’huile sur toile – longueur prévue 80m, pour une hauteur de 2m20 –, toujours en cours de réalisation. Elle crée onze grands dessins pour «Senseless», exposition initialement prévue pour mars 2020 à la Blue Gallery de Bologne (reportée à juin 2021). L’année suivante Sylvie Selig participe à la 16e Biennale d’art contremporain de Lyon 2022-2023.
Sylvie Selig vit et travaille à Paris, entourée de sa Weird Family.